Le Fardeau de la déconstruction: Derrida et la littérature française

In the first of the continuing series “French Thought and the French”, our French Content Editor Sarah Jones examines the impact that deconstructionist French Theory has had on contemporary literary production and publication. This series will analyse how French Philosophy has sent shockwaves throughout post-war society, dramatically re-shaping French national and cultural identity. Translation by Olivia Wilson. Take a look at the original English version here. You can also view our alternative French translation here.
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Quand Patrick Mondiano a obtenu le prix Nobel de la littérature, mes amis et ma famille me bombardaient en demandant qui il était. Quelque chose de semblable est arrivée en 2008 quand Jean-Marie Gustave Le Clézio a reçu le même prix. Les anglophones estiment souvent que des écrivains du 18e, 19e et 20e siècle, comme Voltaire, Gustave Flaubert et Proust, sont les meilleurs au monde. Cependant, à l’exception d’Albert Camus et de Michel Houellebecq, il semble que la majorité des lecteurs anglophones ignore la littérature française des soixante dernières années.

Ce n’est sûrement pas un hasard si le déclin de la popularité de la littérature française à l’étranger a été accompagné de l’essor de la théorie française dans la période de l’après-guerre. On peut caractériser ce mouvement par son accent sur le “structuralisme”. Le seul thème qui unifie le structuralisme est qu’il faut comprendre la culture sous l’angle de son rapport à un système ou à une structure qui l’englobe.

Selon le livre de François Cusset, « French Theory, Foucault, Derrida, Deluze & Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux États-Unis », l’exportation de penseurs français exerçait une grande influence sur la vie intellectuelle américaine. Cette exportation était aussi responsable pour l’évolution de la France en tant que centre philosophique reconnu mondialement, une philosophie qui s’est rapidement integrée à la théorie littéraire. Un des écrivains clés dont Cusset parle est Jacques Derrida. Cet auteur a approfondi les présomptions du structuralisme et il a créé la théorie de la déconstruction.

Cependant, le travail de Derrida est presque trop vaste pour le réduire à une seule théorie précise. On a tenté plusieurs fois de le faire et voici ma tentative. La déconstruction exige le démantèlement de textes. Contrairement aux structuralistes qui se livraient à cette pratique pour suggérer comment les textes sont orientés autour d’un « centre », Derrida a mis en avant le fait que la langue est constamment « en jeu » et qu’elle échappe au sens que le lecteur voulait lui attribuer. Derrida a rejeté la subordination conventionnelle de la langue écrite à la langue parlée et il les considérait plutôt comme deux parties du même système incertain.

Il disputait qu’on n’avait pas discuté des éléments du structuralisme auparavant à cause du désir inné des lecteurs et des écrivains de maintenir le vraisemblable dans le personnage de l’auteur : un personnage qui nous a offert la possibilité d’arriver à la « vérité » d’un texte. Derrida conteste que le sens se forme essentiellement dans l’esprit du lecteur et que le sens n’est dicté par l’auteur que de façon limitée. Ceci s’explique par le fait qu’on ne peut pas maitriser la langue et produit ainsi un sens qui va au-delà de l’intention de l’auteur.

Un lecteur anglophone pourrait se demander quelle est la pertinence du débat et de la théorie académique pour les romanciers contemporains ? C’est certainement vrai que dans le monde anglophone les critiques universitaires et les auteurs occupent des sphères distinctes. En France le contexte est tout à fait différent. L’épreuve de philosophie est par tradition le premier examen du baccalauréat que l’on passe, et ainsi, la philosophie, comprenant les oeuvres de Roland Barthes et de Jacques Derrida, est l’une des matières les plus importantes au lycée. En outre, on considère encore que certains penseurs comme Jean-Paul Sartre sont de grands écrivains de la littérature. Par conséquent, la frontière entre la théorie et la fiction est beaucoup plus poreuse que celle du monde anglophone. Par coséquent, la frontière entre la théorie et la fiction est beaucoup

Le résultat de ce phénomène est que les écrivains potentiels français sortent de leur éducation imprégnés de la nature troublante de la théorie française. Bien que la déconstruction ne nie pas l’existence d’un auteur, elle fait disparaitre le terrain privilégié de l’autorité sous leurs pieds. Selon les principes de la déconstruction, l’écrivain n’a que peu de contrôle sur la langue qu’il emploie : car la langue est constamment « en jeu » et elle échappe perpétuellement au sens exact auquel un écrivain veut lui attribuer. Il semble inimaginable qu’un écrivain français puisse reprendre sa plume et être capable d’ignorer ces voix d’incertitude et d’insécurité qui tracassent l’auteur et son autorité.

La théorie s’oppose vivement ainsi à l’autre pilier du système éducatif français : le classicisme. Ce mouvement culturel du règne de Louis XIV, au dix-septième siècle, est présenté comme l’exemple le plus grand de la littérature française ainsi que l’apogée de la langue française, le moment « par excellence » du « bel usage ». On encense les auteurs du classicisme français, comme Jean Racine et Madame La Fayette, pour avoir atteint l’équilibre parfait entre l’économie linguistique et la splendeur stylistique. Les écrivains du « siècle de Louis XIV » sont célèbres pour leur capacité de traduire des éléments de leurs vérités les plus intimes et de les communiquer au public, un processus qui a confirmé l’universalisme de ces caractéristiques. Le déconstructionnisme de Derrida a des implications profondes pour ces tropes pédagogiques. Si ces grands de la littérature française ne maitrisaient pas leur langage et les textes qu’ils ont écrits, comment leurs successeurs pourraient-ils tenter de surmonter cet obstacle ?

Il est possible d’échapper à l’ombre immense de la déconstruction – en détournant le terme lui meme. Les clients de restaurants huppés peuvent maintenant se délecter d’un crumble aux pommes “déconstruit”  ; et des créateurs de mode présentent des vestes « déconstruites » à la semaine de la mode. Dans les deux cas la « déconstruction » veut dire un démantèlement physique de quelque chose, mais ils n’incluent pas l’insistance de Derrida sur les conséquences troublantes de ces actions. La « déconstruction » a perdu de son mordant. On peut ainsi utiliser le terme comme un synonyme de « l’analyse », par exemple l’article de Michael White, paru dans The Guardian en février, sur la « déconstruction » de l’amitié entre Tony Blair et Rupert Murdoch. La nouvelle équivalence de la « déconstruction » avec un terme qui est moins chargé intellectuellement représente une solution pour les auteurs qui veulent échapper aux implications de la pensée déconstructiviste de Derrida.

 

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Photo credit: wikimedia.org, newrepublic.com

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